
Le dol matrimonial constitue l’un des vices du consentement pouvant entraîner la nullité relative d’un mariage. Cette notion juridique complexe se définit comme une manœuvre frauduleuse ayant pour objectif de tromper l’un des époux sur des éléments déterminants de son engagement. La jurisprudence française a progressivement précisé les contours et conditions d’application de cette cause de nullité, démontrant une évolution constante dans l’appréciation des éléments constitutifs du dol matrimonial. Cette analyse approfondie examine les fondements légaux, les critères d’appréciation, les modes de preuve et les conséquences juridiques du dol matrimonial, tout en mettant en lumière les défis contemporains liés à cette notion dans le droit de la famille moderne.
Fondements juridiques et évolution historique du dol matrimonial
Le dol matrimonial s’inscrit dans la théorie générale des vices du consentement en droit civil français. Bien que le Code civil ne mentionne pas explicitement le dol comme cause de nullité du mariage dans ses articles 180 et suivants, la jurisprudence a progressivement admis cette notion par extension des principes généraux du droit des contrats.
Historiquement, le droit canonique reconnaissait déjà l’erreur provoquée par la tromperie comme cause d’invalidité du mariage. Toutefois, le Code Napoléon de 1804 ne prévoyait initialement que l’erreur sur la personne et la violence comme vices du consentement matrimonial. L’admission du dol comme cause autonome de nullité résulte d’une construction prétorienne progressive.
La Cour de cassation a longtemps refusé d’admettre le dol comme cause indépendante de nullité du mariage. L’arrêt fondateur du 24 avril 1862 posait le principe selon lequel « en matière de mariage, le dol n’est une cause de nullité que s’il a entraîné une erreur dans la personne ». Cette position restrictive s’expliquait par la nature institutionnelle du mariage, distinguée des contrats ordinaires.
L’évolution significative intervient avec l’arrêt du 2 décembre 1997, où la Première chambre civile reconnaît explicitement que « les manœuvres dolosives constituent une cause de nullité du mariage lorsqu’elles ont déterminé le consentement de l’époux ». Cette jurisprudence marque un tournant majeur dans l’autonomisation du dol matrimonial.
Le fondement légal actuel repose sur une interprétation extensive des articles 146 et 180 du Code civil, combinés aux principes généraux du dol contractuel définis à l’article 1137 (anciennement 1116). Cette construction juridique reflète une contractualisation croissante du mariage dans la conception contemporaine.
La réforme du droit des contrats de 2016 a précisé la définition du dol à l’article 1137 du Code civil comme « le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges ». Cette définition moderne influence désormais l’appréciation du dol matrimonial, bien que les tribunaux maintiennent des critères d’appréciation spécifiques en raison du caractère particulier de l’union matrimoniale.
- L’évolution jurisprudentielle témoigne d’un passage progressif d’une conception institutionnelle à une vision plus contractuelle du mariage
- Le dol matrimonial reste soumis à des conditions d’appréciation plus strictes que le dol dans les contrats ordinaires
- La nature spécifique du mariage justifie un régime probatoire particulier
Cette évolution historique reflète les transformations profondes de la conception sociale du mariage et la reconnaissance croissante de l’autonomie de la volonté des époux, tout en préservant la stabilité institutionnelle de cette union fondamentale.
Critères constitutifs du dol matrimonial recevable
Pour être juridiquement qualifié et entraîner la nullité du mariage, le dol matrimonial doit répondre à plusieurs critères cumulatifs que la jurisprudence a progressivement affinés. Ces éléments constitutifs déterminent la frontière entre une simple réticence tolérable et une manœuvre frauduleuse sanctionnable.
L’existence de manœuvres frauduleuses caractérisées
Le dol suppose en premier lieu des manœuvres intentionnelles visant à tromper le conjoint. Ces manœuvres peuvent prendre diverses formes:
Le mensonge actif constitue la forme la plus évidente, comme l’illustre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 mars 2011 annulant un mariage où l’épouse avait dissimulé son passé de prostituée. La mise en scène peut renforcer le mensonge, comme dans l’affaire jugée par la Cour d’appel de Versailles le 22 juin 2006, où un époux avait organisé une fausse activité professionnelle pour masquer son absence de ressources.
La réticence dolosive, soit la dissimulation volontaire d’informations déterminantes, est également reconnue depuis l’arrêt de la Première chambre civile du 13 décembre 2005. Dans cette affaire, un époux avait délibérément caché son intention de ne pas consommer le mariage et de l’utiliser uniquement à des fins migratoires.
La jurisprudence contemporaine tend à élargir la notion de manœuvres frauduleuses aux comportements passifs lorsqu’ils portent sur des éléments essentiels. L’arrêt de la Cour de cassation du 19 septembre 2019 a ainsi confirmé l’annulation d’un mariage où l’épouse avait dissimulé sa véritable identité sexuelle, considérant que cette réticence constituait une manœuvre dolosive caractérisée.
Le caractère déterminant de la tromperie
Le dol doit avoir été déterminant dans l’obtention du consentement matrimonial. Les juges appliquent un critère subjectif tempéré d’objectivité:
La Cour de cassation exige que les manœuvres aient porté sur des « qualités essentielles » de la personne du conjoint, notion précisée dans l’arrêt du 4 octobre 2005. L’appréciation se fait in concreto, en tenant compte des circonstances particulières de chaque espèce et des attentes légitimes du conjoint trompé.
Les tribunaux vérifient si, sans cette tromperie, le consentement matrimonial aurait été donné. La preuve du caractère déterminant s’avère souvent complexe et nécessite de démontrer l’importance subjective de l’élément dissimulé pour le conjoint trompé, comme l’a rappelé la Cour d’appel de Lyon dans son arrêt du 11 janvier 2016.
Les éléments substantiels susceptibles de constituer un dol
La jurisprudence a progressivement identifié plusieurs catégories d’éléments pouvant constituer un dol matrimonial:
- La dissimulation d’un précédent mariage non dissous (Cass. civ. 1ère, 8 novembre 2005)
- La tromperie sur l’identité sexuelle ou l’orientation sexuelle lorsqu’elle est déterminante (CA Paris, 8 avril 2013)
- La dissimulation d’une maladie grave préexistante au mariage (CA Aix-en-Provence, 15 septembre 2009)
- Le mariage blanc contracté uniquement dans un but migratoire (Cass. civ. 1ère, 2 décembre 1997)
- La tromperie sur la situation patrimoniale lorsqu’elle revêt un caractère exceptionnel (CA Bordeaux, 19 janvier 2012)
En revanche, certains éléments sont généralement exclus du champ du dol matrimonial, comme les simples qualités morales (fidélité future, amour), les sentiments ou les promesses d’avenir. La Cour de cassation a ainsi refusé d’annuler un mariage pour dol dans une affaire où l’époux avait menti sur ses sentiments (Cass. civ. 1ère, 17 janvier 2018).
L’évolution jurisprudentielle témoigne d’une approche de plus en plus nuancée, attentive tant à la protection du consentement matrimonial qu’à la nécessaire stabilité de l’institution. Les juges du fond disposent d’un large pouvoir d’appréciation pour évaluer, au cas par cas, si les critères constitutifs du dol matrimonial sont réunis, tout en préservant le mariage contre des demandes d’annulation fondées sur des motifs insuffisamment graves.
Régime probatoire et procédure d’annulation pour dol matrimonial
La démonstration d’un dol matrimonial obéit à un régime probatoire spécifique, reflétant la difficulté d’établir des manœuvres frauduleuses dans le contexte intime du mariage. La procédure d’annulation suit par ailleurs un parcours juridictionnel précis, encadré par des délais et conditions stricts.
Charge et modes de preuve admissibles
Conformément aux principes généraux du droit civil, la charge de la preuve incombe au demandeur en nullité, selon l’adage « actori incumbit probatio ». L’époux qui invoque le dol doit donc établir l’existence des manœuvres frauduleuses, leur caractère déterminant et le lien de causalité avec son consentement matrimonial.
Le principe de liberté probatoire s’applique en matière de dol matrimonial, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans son arrêt du 7 juin 2006. Tous les moyens de preuve sont recevables, sous réserve qu’ils aient été obtenus loyalement. Ainsi, les témoignages, correspondances, enregistrements (sous conditions), aveux et présomptions constituent les principaux modes de preuve utilisés.
La jurisprudence admet le recours aux présomptions graves, précises et concordantes, particulièrement utiles lorsque la preuve directe s’avère impossible. Dans un arrêt du 12 janvier 2011, la Première chambre civile a validé l’annulation d’un mariage sur la base d’un faisceau d’indices démontrant l’intention frauduleuse d’un époux d’obtenir un titre de séjour.
Les communications électroniques (courriels, messages instantanés, publications sur réseaux sociaux) sont désormais fréquemment produites devant les tribunaux. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 5 mars 2015, a ainsi retenu des messages Facebook comme éléments probants d’une tromperie sur la situation familiale antérieure.
Les enquêtes privées peuvent être admises sous certaines conditions. La Cour de cassation, dans son arrêt du 10 février 2016, a précisé que les preuves obtenues par un détective privé sont recevables si elles n’ont pas été obtenues par fraude ou violence et respectent la vie privée dans une mesure proportionnée à l’intérêt légitime poursuivi.
Procédure juridictionnelle et délais
La demande en nullité pour dol matrimonial relève de la compétence exclusive du Tribunal judiciaire du lieu de résidence familiale, conformément à l’article 1070 du Code de procédure civile. La représentation par avocat est obligatoire.
Le délai de prescription de l’action est fixé à cinq ans par l’article 181 du Code civil. Ce délai court à compter de la découverte de l’erreur ou du dol, et non de la célébration du mariage. La jurisprudence apprécie strictement le point de départ de ce délai, comme l’illustre l’arrêt de la Première chambre civile du 8 juin 2016, qui a considéré que la connaissance d’indices sérieux de tromperie suffisait à faire courir le délai.
La procédure suit le droit commun procédural, avec assignation, échange de conclusions et plaidoiries. Le ministère public doit être obligatoirement avisé de la procédure et peut présenter des observations, en vertu de l’article 425 du Code de procédure civile, le mariage relevant de l’ordre public.
Des mesures d’instruction peuvent être ordonnées par le juge pour éclairer sa décision. L’enquête sociale, l’audition de témoins ou l’expertise psychologique sont parfois utilisées pour établir la réalité du dol ou son caractère déterminant.
La Cour d’appel peut être saisie dans un délai d’un mois à compter de la signification du jugement, conformément à l’article 538 du Code de procédure civile. Le pourvoi en cassation reste possible dans les deux mois suivant la signification de l’arrêt d’appel.
- L’action en nullité pour dol matrimonial est strictement personnelle
- Elle ne peut être exercée par les héritiers qu’en cas de décès du conjoint trompé pendant l’instance
- Le ministère public peut agir en nullité dans certains cas graves touchant à l’ordre public
La procédure de médiation familiale préalable, généralisée en matière familiale depuis la loi du 23 mars 2019, n’est pas obligatoire pour les actions en nullité de mariage, ces dernières relevant d’une logique différente des procédures de divorce ou de séparation.
La complexité probatoire et procédurale explique le nombre relativement limité d’annulations prononcées sur ce fondement, malgré une jurisprudence de plus en plus ouverte à la reconnaissance du dol matrimonial.
Étude jurisprudentielle des cas emblématiques de dol matrimonial
L’examen des décisions judiciaires marquantes permet d’identifier les principales catégories de dol matrimonial reconnues par les tribunaux français et d’analyser l’évolution des critères d’appréciation au fil du temps.
Les mariages simulés ou de complaisance
La jurisprudence sanctionne avec constance les mariages contractés dans le seul but d’obtenir un avantage administratif, notamment en matière de droit au séjour. L’arrêt fondateur de la Cour de cassation du 2 décembre 1997 a posé le principe selon lequel constitue un dol le fait de dissimuler à son conjoint que l’on se marie uniquement pour obtenir un titre de séjour.
Cette position a été confirmée et précisée dans l’arrêt du 19 décembre 2012, où la Première chambre civile a validé l’annulation d’un mariage après avoir constaté que l’épouse avait cessé toute relation avec son conjoint dès l’obtention de son titre de séjour. Les juges ont relevé un « faisceau d’indices concordants » démontrant l’absence d’intention matrimoniale sincère.
La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 17 janvier 2019, a annulé un mariage en se fondant sur le comportement de l’époux qui n’avait jamais cohabité avec sa conjointe et avait multiplié les demandes de régularisation administrative. Les juges ont souligné que « le consentement au mariage ne peut être détourné de sa finalité pour servir exclusivement un intérêt étranger à l’union matrimoniale ».
Dissimulation d’éléments relatifs à l’identité et au passé
La tromperie sur des éléments fondamentaux de l’identité personnelle constitue une cause fréquente d’annulation. Dans un arrêt remarqué du 10 mai 2007, la Cour d’appel de Versailles a prononcé la nullité d’un mariage où l’épouse avait dissimulé son véritable âge (53 ans au lieu de 43) et sa nationalité, éléments jugés déterminants pour le consentement de son conjoint.
La dissimulation d’un passé judiciaire peut également caractériser un dol matrimonial. La Cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 27 février 2014, a annulé un mariage où l’époux avait caché sa condamnation pour des faits graves de pédophilie, considérant que cette information aurait été déterminante pour le consentement de son épouse, mère de jeunes enfants.
L’arrêt de la Cour de cassation du 15 janvier 2020 a confirmé l’annulation d’un mariage pour dissimulation d’une double vie, l’époux ayant entretenu pendant plusieurs années une relation stable avec une autre femme dont il avait eu des enfants, tout en le cachant à son épouse légitime. Les juges ont estimé que cette dissimulation constituait une réticence dolosive sur un élément essentiel de la vie conjugale.
Tromperie sur l’état de santé et les capacités physiques
La dissimulation d’une maladie grave préexistante au mariage a été reconnue comme un dol matrimonial dans plusieurs décisions. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans son arrêt du 15 septembre 2009, a annulé un mariage où l’époux avait caché sa séropositivité au VIH, mettant ainsi en danger sa partenaire.
De même, la Cour d’appel de Lyon, dans une décision du 11 janvier 2016, a prononcé la nullité d’un mariage où l’épouse avait dissimulé une stérilité définitive alors que son conjoint lui avait clairement exprimé son désir d’avoir des enfants. Les juges ont considéré que cette réticence portait sur un élément déterminant du consentement matrimonial.
La dissimulation d’une impuissance peut également constituer un dol matrimonial. Dans un arrêt du 17 décembre 2008, la Première chambre civile a confirmé l’annulation d’un mariage où l’époux, connaissant son incapacité physique, n’en avait pas informé sa future épouse alors que celle-ci avait manifesté son désir d’avoir une vie intime normale.
Fraudes à caractère patrimonial et professionnel
Bien que les tribunaux se montrent généralement réticents à annuler un mariage pour des considérations purement économiques, certaines tromperies patrimoniales d’une gravité particulière ont été sanctionnées. La Cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 19 janvier 2012, a annulé un mariage où l’époux avait dissimulé un surendettement massif et des poursuites judiciaires en cours.
La Cour d’appel de Paris, dans sa décision du 9 juin 2016, a prononcé la nullité d’un mariage où l’épouse avait menti sur sa profession, se présentant comme médecin alors qu’elle n’avait jamais obtenu de diplôme médical. Les juges ont considéré que cette tromperie portait sur une qualité essentielle ayant déterminé le consentement de son conjoint.
Ces différentes catégories jurisprudentielles illustrent l’approche nuancée des tribunaux, qui évaluent au cas par cas la gravité de la tromperie et son caractère déterminant. L’évolution jurisprudentielle témoigne d’une protection accrue du consentement matrimonial face aux manœuvres frauduleuses, tout en maintenant des critères d’appréciation stricts pour préserver la stabilité de l’institution matrimoniale.
Effets juridiques de l’annulation et protection des droits des parties
La nullité relative du mariage pour dol matrimonial engendre un ensemble de conséquences juridiques complexes, tant pour les époux que pour les tiers. Le droit français a progressivement élaboré un régime protecteur visant à équilibrer la sanction de la fraude et la préservation de certains effets du mariage.
Principe de rétroactivité et ses tempéraments
L’annulation du mariage opère en principe rétroactivement, conformément à l’adage « quod nullum est nullum producit effectum ». Le mariage est censé n’avoir jamais existé, ce qui entraîne théoriquement la disparition de tous les effets juridiques produits depuis sa célébration.
Toutefois, ce principe de rétroactivité connaît d’importants tempéraments. L’article 201 du Code civil consacre la théorie du mariage putatif, qui maintient certains effets du mariage annulé à l’égard des époux de bonne foi et des enfants. Comme l’a précisé la Cour de cassation dans son arrêt du 13 novembre 2008, la bonne foi se présume et c’est à celui qui l’allègue de prouver la mauvaise foi de son conjoint.
Dans le cas spécifique du dol matrimonial, l’auteur des manœuvres frauduleuses est nécessairement considéré de mauvaise foi, tandis que la victime bénéficie de la protection du mariage putatif. Ainsi, dans un arrêt du 24 mars 2014, la Première chambre civile a confirmé que l’époux auteur du dol ne pouvait invoquer les effets favorables du mariage putatif.
La jurisprudence récente tend à apprécier la bonne foi avec nuance, en fonction de la nature et de la gravité du dol. Dans son arrêt du 5 novembre 2018, la Cour de cassation a considéré qu’un époux partiellement informé des manœuvres de son conjoint pouvait néanmoins bénéficier du mariage putatif si son consentement avait été substantiellement altéré.
Sort des droits patrimoniaux et liquidation du régime matrimonial
L’annulation du mariage entraîne la disparition rétroactive du régime matrimonial. Les biens communs doivent être liquidés selon les règles de l’indivision, comme si les époux n’avaient jamais été mariés. La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 12 janvier 2017, a précisé que cette liquidation doit se faire sur la base d’une indivision de fait constituée par les acquisitions conjointes durant la vie commune.
Les avantages matrimoniaux sont révoqués de plein droit, y compris ceux stipulés dans un contrat de mariage. Toutefois, l’époux de bonne foi peut en conserver le bénéfice en vertu du mariage putatif. Dans son arrêt du 18 mai 2011, la Première chambre civile a ainsi maintenu une donation entre époux au profit du conjoint victime du dol.
Concernant les droits successoraux, l’annulation efface rétroactivement la qualité de conjoint survivant et les droits qui y sont attachés. Cependant, si le décès survient avant que l’annulation ne soit prononcée, l’époux de bonne foi conserve sa vocation successorale, comme l’a confirmé la Cour de cassation dans son arrêt du 7 juillet 2010.
La prestation compensatoire n’est en principe pas due en cas d’annulation, puisqu’elle est attachée au divorce. Néanmoins, l’époux de bonne foi peut obtenir des dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1240 du Code civil pour réparer le préjudice causé par le dol. La Cour d’appel de Versailles, dans sa décision du 9 novembre 2017, a ainsi accordé une indemnisation substantielle à une épouse victime d’un mariage frauduleux ayant entraîné un préjudice moral et matériel.
Protection spécifique des enfants et des tiers
Les enfants nés pendant l’union annulée conservent leur filiation légitime, conformément à l’article 202 du Code civil. Cette protection s’applique indépendamment de la bonne ou mauvaise foi des parents. La Cour de cassation, dans son arrêt du 23 mars 2011, a rappelé que « l’annulation du mariage ne porte pas atteinte aux droits des enfants qui, en toute hypothèse, conservent leur qualité d’enfants légitimes ».
L’autorité parentale continue à s’exercer conjointement après l’annulation, sauf décision contraire du juge aux affaires familiales. Dans un arrêt du 14 décembre 2016, la Première chambre civile a précisé que l’annulation du mariage n’entraînait pas automatiquement la modification des modalités d’exercice de l’autorité parentale précédemment fixées.
Concernant les tiers, l’article 201 du Code civil dispose que l’annulation n’est opposable aux tiers qu’à compter du jour où la décision est mentionnée en marge de l’acte de mariage. Les actes passés avec des tiers avant cette mention demeurent valables, protégeant ainsi la sécurité juridique et les droits acquis.
- L’annulation n’affecte pas la validité des contrats conclus avec des tiers de bonne foi
- Les créanciers conservent leurs droits contre les époux pour les dettes contractées pendant l’union
- Les actes accomplis par un époux dans les limites de ses pouvoirs restent opposables à l’autre
La Cour de cassation, dans son arrêt du 9 janvier 2019, a confirmé cette protection des tiers en jugeant qu’un créancier pouvait se prévaloir d’un engagement souscrit par les deux époux, malgré l’annulation ultérieure du mariage pour dol.
Ce régime juridique nuancé démontre la volonté du législateur et des tribunaux de concilier la sanction du dol matrimonial avec la protection des intérêts légitimes des personnes affectées par l’annulation, particulièrement les enfants et les tiers de bonne foi.
Perspectives contemporaines et défis éthiques du dol matrimonial
La notion de dol matrimonial connaît aujourd’hui des évolutions significatives, confrontée aux transformations profondes de la société et aux nouveaux défis éthiques que pose l’équilibre entre liberté individuelle et protection du consentement dans le mariage.
Évolutions sociétales et nouvelles formes de dol
L’ère numérique a fait émerger des formes inédites de tromperie préalable au mariage. Les réseaux sociaux et sites de rencontre facilitent la construction d’identités partiellement ou totalement fictives, comme l’illustre l’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 14 mars 2018 annulant un mariage où l’époux avait entièrement fabriqué son profil professionnel et personnel sur un site de rencontre.
La mondialisation des relations interpersonnelles multiplie les mariages binationaux, augmentant les risques de dol à finalité migratoire. La Cour de cassation, dans son arrêt du 7 novembre 2018, a confirmé l’annulation d’un mariage où l’épouse étrangère avait organisé une mise en scène élaborée pour dissimuler ses véritables intentions, incluant de fausses preuves de cohabitation et d’intégration.
Les avancées de la médecine procréative soulèvent de nouvelles questions relatives à la dissimulation d’informations sur la fertilité ou les antécédents génétiques. Dans une décision remarquée du 13 septembre 2017, la Cour d’appel de Lyon a annulé un mariage où l’époux avait délibérément caché qu’il avait subi une vasectomie, alors que le projet parental constituait un élément déterminant pour sa conjointe.
Les transitions de genre non divulguées avant le mariage ont donné lieu à une jurisprudence nuancée. Si la Cour d’appel de Versailles, dans son arrêt du 8 juillet 2015, a considéré que la non-révélation d’une réassignation sexuelle constituait un dol, la Première chambre civile a adopté une position plus restrictive le 7 juin 2012, exigeant la preuve du caractère déterminant de cette information pour le consentement.
Équilibre entre protection du consentement et respect de la vie privée
Le droit au respect de la vie privée, consacré par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, entre parfois en tension avec l’obligation de sincérité préalable au mariage. Les tribunaux doivent déterminer quelles informations personnelles doivent être nécessairement divulguées au futur conjoint.
La jurisprudence récente tend à distinguer les éléments relevant du strict intimité de ceux qui affectent substantiellement la vie conjugale future. Dans son arrêt du 12 octobre 2021, la Cour de cassation a refusé de qualifier de dol la non-révélation d’une liaison antérieure, considérant qu’il s’agissait d’un élément relevant de la vie privée n’affectant pas directement la relation matrimoniale.
La question du droit à l’oubli se pose avec acuité, notamment concernant des condamnations anciennes ou des comportements passés. La Cour d’appel de Paris, dans sa décision du 17 mai 2019, a rejeté une demande d’annulation fondée sur la non-révélation d’une condamnation prononcée vingt ans auparavant et effacée du casier judiciaire, estimant que le droit à la réinsertion primait sur l’obligation d’information.
Les données médicales soulèvent des questions particulièrement délicates. Si la dissimulation d’une maladie grave transmissible constitue généralement un dol, comme l’a confirmé la Cour de cassation le 19 février 2020 concernant une hépatite B non révélée, la situation est plus nuancée pour d’autres pathologies. Les juges tendent à mettre en balance le droit au secret médical et les conséquences concrètes de la maladie sur la vie conjugale.
Perspectives d’évolution législative et jurisprudentielle
Le droit comparé montre des approches diverses du dol matrimonial. Certains systèmes juridiques, comme le droit allemand ou suisse, ont codifié explicitement cette cause de nullité, tandis que d’autres, comme le droit italien, maintiennent une approche restrictive similaire à celle qui prévalait en France avant l’évolution jurisprudentielle des années 1990.
Une codification explicite du dol matrimonial pourrait être envisagée en droit français, à l’instar de la réforme du droit des contrats qui a précisé les contours du dol contractuel. Cette clarification législative permettrait de sécuriser la jurisprudence actuelle tout en définissant plus précisément les éléments constitutifs du dol matrimonial.
L’influence du droit européen, notamment à travers la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, pourrait conduire à une harmonisation progressive des approches nationales. L’arrêt Orlandi c. Italie du 14 décembre 2017 a souligné l’importance de protéger le consentement matrimonial contre les tromperies substantielles, tout en respectant le pluralisme des traditions juridiques nationales.
Les évolutions sociétales pourraient conduire à une reconfiguration des éléments considérés comme essentiels dans le consentement matrimonial. La diversification des modèles familiaux et la contractualisation croissante des relations conjugales suggèrent une possible extension du champ du dol matrimonial à de nouveaux domaines, comme la dissimulation d’intentions concernant le mode de vie ou les valeurs éducatives.
- L’essor des technologies de l’information exigera une adaptation des critères d’appréciation du dol
- L’évolution des conceptions du mariage pourrait modifier la hiérarchie des éléments jugés essentiels
- Le développement de la médiation préventive pourrait réduire le recours à l’annulation judiciaire
Face à ces défis contemporains, le droit du dol matrimonial devra continuer à évoluer pour préserver un équilibre délicat entre la protection du consentement libre et éclairé, fondement de tout engagement matrimonial authentique, et le respect de l’autonomie personnelle et de la diversité des conceptions du mariage dans une société pluraliste.