
La liquidation d’un régime de communauté partielle représente une étape juridique complexe, souvent consécutive à un divorce ou au décès d’un époux. Cette procédure, loin d’être une simple formalité administrative, peut rapidement se transformer en terrain conflictuel lorsque l’un des conjoints s’y oppose. Les motifs d’opposition sont multiples et varient selon les situations personnelles: désaccord sur l’évaluation des biens, contestation de leur qualification en propres ou communs, ou revendications liées aux récompenses dues à la communauté. Face à ces situations d’opposition, le droit français offre un cadre procédural strict mais parfois méconnu des justiciables, qui mérite une analyse approfondie pour comprendre les enjeux et les stratégies juridiques à déployer.
Fondements juridiques de l’opposition à la liquidation communautaire
L’opposition à la liquidation d’un régime matrimonial de communauté partielle s’inscrit dans un cadre légal précis, défini principalement par le Code civil. Ce régime, aussi appelé communauté réduite aux acquêts, constitue le régime légal par défaut en France en l’absence de contrat de mariage spécifique. Selon les articles 1400 à 1491 du Code civil, ce régime distingue trois masses de biens : les biens propres de chaque époux et les biens communs.
Le processus de liquidation vise à déterminer précisément ces différentes masses et à les répartir équitablement entre les ex-époux ou entre l’époux survivant et les héritiers du défunt. L’article 1467 du Code civil pose le principe selon lequel « la communauté dissoute est liquidée et partagée suivant les règles fixées pour le partage des successions », renvoyant ainsi aux dispositions des articles 815 et suivants du même code.
L’opposition formelle à cette liquidation trouve son fondement juridique dans plusieurs textes :
- L’article 1471 du Code civil qui prévoit le droit pour chaque époux de réclamer ses biens propres en nature
- L’article 1467 qui permet de contester les opérations de partage
- L’article 1479 qui encadre les créances entre époux
La jurisprudence de la Cour de cassation a progressivement précisé les contours de cette opposition. Dans un arrêt de la première chambre civile du 12 juin 2013 (n°12-18.439), la Haute juridiction a rappelé que « l’opposition à la liquidation du régime matrimonial doit être motivée et ne peut être dilatoire ». Cette exigence de motivation sérieuse constitue un filtre efficace contre les oppositions purement tactiques visant à retarder le processus.
Les motifs légitimes d’opposition sont variés et peuvent concerner :
- La contestation de la qualification d’un bien (propre ou commun)
- La remise en cause de l’évaluation des actifs ou passifs
- La revendication de récompenses dues à la communauté ou aux époux
- L’existence de donations déguisées ou d’avantages matrimoniaux contestés
Le droit processuel encadrant cette opposition est principalement régi par le Code de procédure civile, notamment ses articles 1136 à 1140 qui organisent la procédure devant le juge aux affaires familiales (JAF). Ce magistrat spécialisé détient une compétence exclusive pour trancher les litiges relatifs à la liquidation des régimes matrimoniaux, conformément à l’article L. 213-3 du Code de l’organisation judiciaire.
Procédure d’opposition et étapes critiques du contentieux
La mise en œuvre d’une opposition à la liquidation d’une communauté partielle obéit à un formalisme rigoureux dont la méconnaissance peut entraîner l’irrecevabilité de la démarche. Cette procédure se déroule généralement en plusieurs phases distinctes, chacune comportant ses propres exigences procédurales.
Phase précontentieuse : tentatives de règlement amiable
Avant toute judiciarisation du conflit, la loi encourage les époux à rechercher un accord amiable. L’article 252 du Code civil prévoit une phase de tentative de conciliation, même si celle-ci n’est plus obligatoire depuis la réforme du divorce de 2020. Dans la pratique, cette phase précontentieuse peut prendre plusieurs formes :
- Négociation directe entre les avocats des parties
- Recours à un médiateur familial
- Intervention d’un notaire pour établir un projet d’état liquidatif
L’échec de ces tentatives amiables ouvre la voie au contentieux judiciaire proprement dit.
Saisine du juge aux affaires familiales
La contestation formelle de la liquidation s’effectue par la saisine du juge aux affaires familiales territorialement compétent. Selon l’article 1070 du Code de procédure civile, ce magistrat est celui du lieu où se trouve la résidence familiale ou, à défaut, celui du lieu où réside le parent avec lequel habitent les enfants mineurs.
La saisine s’effectue par voie d’assignation ou de requête conjointe. Dans le cas d’une opposition unilatérale, l’assignation doit respecter les dispositions de l’article 56 du Code de procédure civile et contenir, à peine de nullité :
- L’indication précise des points contestés dans le projet de liquidation
- Les motifs de cette contestation
- Les prétentions du demandeur
Cette assignation doit être signifiée par huissier de justice à l’autre partie, avec un délai minimum de 15 jours avant la date d’audience fixée.
Mise en état du dossier et expertise
Une fois le juge saisi, s’ouvre une phase d’instruction du dossier appelée « mise en état ». Durant cette période, les parties échangent leurs écritures (conclusions) et leurs pièces justificatives. Le magistrat peut ordonner diverses mesures d’instruction, parmi lesquelles :
- La désignation d’un notaire pour dresser un projet d’état liquidatif (article 255-10° du Code civil)
- La nomination d’un expert pour évaluer certains biens litigieux
- L’audition de témoins susceptibles d’éclairer le tribunal sur l’origine ou la nature de certains biens
La Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 7 novembre 2018 (n°17-26.676), que « le juge ne peut refuser d’ordonner une expertise sollicitée par une partie lorsque celle-ci est nécessaire à la manifestation de la vérité et que son refus cause un grief à la partie qui la demande ».
Débats et jugement
À l’issue de la phase d’instruction, l’affaire est appelée à l’audience de plaidoirie. Les avocats des parties développent oralement leurs arguments, en complément des écritures déposées. Le juge rend ensuite sa décision, généralement après un délibéré de plusieurs semaines.
Ce jugement peut faire l’objet d’un appel dans un délai d’un mois à compter de sa notification, conformément à l’article 538 du Code de procédure civile. L’appel est suspensif, ce qui signifie que l’exécution du jugement est suspendue jusqu’à la décision de la cour d’appel.
Dans certains cas, un pourvoi en cassation peut être formé contre l’arrêt d’appel, mais uniquement pour violation de la loi et non pour contester l’appréciation des faits par les juges du fond.
Qualification des biens et détermination des masses : points de friction majeurs
La qualification des biens constitue sans doute le point le plus litigieux lors de la liquidation d’une communauté partielle. Cette opération juridique consiste à déterminer si un bien appartient à la masse commune ou s’il demeure propre à l’un des époux. L’article 1401 du Code civil pose le principe selon lequel « la communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage ». Mais cette apparente simplicité masque une réalité bien plus complexe.
Présomption de communauté et renversement
Le législateur a instauré une présomption de communauté à l’article 1402 du Code civil qui précise que « tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux par application d’une disposition de la loi ». Cette présomption constitue un mécanisme fondamental qui fait peser la charge de la preuve sur celui qui revendique un bien comme propre.
Le renversement de cette présomption nécessite des preuves formelles, dont la nature varie selon le type de bien concerné :
- Pour les immeubles : titres de propriété, actes notariés, inscriptions hypothécaires
- Pour les meubles corporels : factures, certificats d’immatriculation, expertises
- Pour les valeurs mobilières : relevés de comptes-titres, attestations bancaires
La jurisprudence se montre particulièrement exigeante quant à la qualité des preuves rapportées. Un arrêt de la première chambre civile du 4 janvier 2017 (n°16-12.293) a rappelé que « la preuve du caractère propre d’un bien ne peut résulter de simples témoignages ou présomptions mais doit être établie par un écrit ayant date certaine ».
Cas spécifiques des biens propres par nature
L’article 1404 du Code civil énumère les biens qui restent propres par nature, indépendamment de leur date d’acquisition. Ces biens, fréquemment source de contestations, comprennent notamment :
- Les vêtements et linges à usage personnel
- Les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral
- Les créances et pensions incessibles
- Les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux
Cette dernière catégorie suscite de nombreux litiges, particulièrement pour les époux exerçant une profession libérale ou commerciale. La Cour de cassation a progressivement affiné sa jurisprudence, considérant par exemple dans un arrêt du 8 juillet 2015 (n°14-10.020) que « le matériel utilisé par un chirurgien-dentiste dans son cabinet constitue un instrument de travail nécessaire à sa profession et conserve donc un caractère propre, nonobstant son acquisition pendant le mariage ».
Problématique des biens mixtes
Les biens mixtes, c’est-à-dire ceux financés partiellement par des fonds propres et partiellement par des fonds communs, représentent une source majeure de conflits lors de la liquidation. L’article 1406 du Code civil prévoit que « le bien acquis en emploi ou remploi est propre si les formalités prescrites ont été observées ». À défaut, le bien entre en communauté, mais donne lieu à récompense au profit de l’époux qui a contribué à son acquisition avec des fonds propres.
La théorie des récompenses, codifiée aux articles 1468 à 1474 du Code civil, vise à rétablir l’équilibre entre les masses patrimoniales. Son application pratique s’avère souvent complexe, notamment pour déterminer le montant exact dû.
Un arrêt remarqué de la première chambre civile du 18 décembre 2019 (n°18-26.337) a précisé que « la récompense due à la communauté ne peut être inférieure au profit subsistant, lequel s’apprécie à la date de la liquidation de la communauté en tenant compte de l’évolution de la valeur du bien acquis ».
Cette règle de la plus-value, particulièrement favorable à la communauté, constitue souvent un point d’achoppement majeur lors des négociations, l’époux débiteur contestant l’évaluation du profit subsistant, notamment en période de forte inflation immobilière.
Évaluation des biens et détermination des récompenses
L’évaluation des biens constitue une étape déterminante dans le processus de liquidation d’une communauté partielle. Cette opération technique, apparemment objective, cache de nombreux enjeux stratégiques et suscite régulièrement des oppositions farouches entre ex-époux. Le Code civil, dans son article 829, pose le principe selon lequel « l’estimation des biens est faite à leur valeur à la date la plus proche du partage ».
Principes généraux d’évaluation
La détermination de la valeur des biens obéit à plusieurs principes fondamentaux :
- Le principe de réalité : la valeur retenue doit correspondre à la valeur marchande effective du bien
- Le principe d’actualité : l’évaluation se fait à la date la plus proche du partage effectif
- Le principe d’unicité : tous les biens doivent être évalués à la même date
La Cour de cassation a réaffirmé ces principes dans un arrêt de principe du 12 avril 2016 (n°15-18.706) : « Les biens doivent être estimés d’après leur valeur à l’époque du partage, la plus-value ou la moins-value pouvant affecter les biens entre la dissolution de la communauté et le partage effectif profitant ou préjudiciant à l’indivision post-communautaire ».
Dans la pratique, cette évaluation peut être réalisée selon différentes méthodes, en fonction de la nature des biens :
- Pour les immeubles : expertise immobilière, comparaison avec des transactions similaires, capitalisation des loyers
- Pour les meubles : expertise mobilière, valeur d’assurance, cote sur le marché de l’occasion
- Pour les parts sociales et actions non cotées : méthodes patrimoniale, de rentabilité ou mixte
Contestations fréquentes sur l’évaluation
Les désaccords sur l’évaluation des biens représentent l’une des principales causes d’opposition à la liquidation. Ces contestations peuvent porter sur plusieurs aspects :
La méthode d’évaluation retenue est souvent contestée, chaque époux privilégiant naturellement celle qui sert au mieux ses intérêts. Pour un fonds de commerce par exemple, l’époux exploitant préférera généralement une évaluation basée sur l’actif net corrigé (souvent moins favorable), tandis que son conjoint plaidera pour une méthode fondée sur les bénéfices futurs actualisés.
La date d’évaluation constitue un autre point de friction majeur. Si le principe est celui de l’évaluation à la date la plus proche du partage, certaines circonstances peuvent justifier des exceptions. Dans un arrêt du 14 mars 2018 (n°17-14.424), la Cour de cassation a admis qu' »un bien peut être évalué à la date où l’un des indivisaires en a pris la jouissance exclusive, dès lors que cette jouissance s’est accompagnée d’actes manifestant une volonté d’appropriation ».
Les améliorations ou dégradations apportées aux biens après la dissolution de la communauté soulèvent des questions complexes. L’époux qui a financé des travaux d’amélioration sur un bien indivis peut-il en obtenir le remboursement ? À l’inverse, celui qui a dégradé un bien doit-il indemniser l’indivision ? La jurisprudence apporte des réponses nuancées, tenant compte de la bonne ou mauvaise foi des parties.
Mécanismes correcteurs : la théorie des récompenses
Les récompenses constituent un mécanisme correcteur essentiel dans la liquidation d’une communauté partielle. Définies aux articles 1468 à 1474 du Code civil, elles visent à rétablir l’équilibre entre les différentes masses patrimoniales lorsque l’une d’elles s’est enrichie au détriment d’une autre.
Trois types de récompenses peuvent être identifiés :
- Récompenses dues par la communauté à l’un des époux
- Récompenses dues par l’un des époux à la communauté
- Récompenses dues par un époux à l’autre époux (cas plus rare)
Le calcul des récompenses obéit à des règles précises, codifiées à l’article 1469 du Code civil, qui prévoit que « la récompense ne peut être moindre que le profit subsistant, quand la valeur empruntée a servi à acquérir, conserver ou améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans le patrimoine emprunteur ».
Cette règle du profit subsistant a donné lieu à une abondante jurisprudence. Dans un arrêt du 20 février 2019 (n°17-31.101), la première chambre civile a précisé que « pour déterminer le profit subsistant, il convient de comparer la valeur du bien au jour de l’acquisition et sa valeur au jour de la liquidation, en tenant compte de l’érosion monétaire ».
Les oppositions à la liquidation portent fréquemment sur l’existence même du droit à récompense ou sur son montant. L’époux qui conteste doit alors démontrer soit que les conditions d’une récompense ne sont pas réunies (absence d’enrichissement d’une masse au détriment d’une autre), soit que son calcul est erroné.
Stratégies de résolution et voies alternatives au contentieux judiciaire
Face aux difficultés inhérentes à la liquidation d’une communauté partielle et aux risques d’enlisement judiciaire, plusieurs approches alternatives méritent d’être explorées. Ces stratégies visent à désamorcer l’opposition et à trouver des solutions pragmatiques, souvent plus rapides et moins onéreuses qu’un contentieux classique.
Médiation familiale et processus collaboratif
La médiation familiale, encadrée par les articles 131-1 à 131-15 du Code de procédure civile, offre un cadre structuré pour renouer le dialogue entre ex-époux. Menée par un professionnel neutre, impartial et indépendant, cette démarche permet d’aborder les questions patrimoniales dans un contexte apaisé.
Les avantages de la médiation sont multiples :
- Préservation des relations futures, particulièrement précieuse en présence d’enfants
- Maîtrise du calendrier, contrairement aux aléas judiciaires
- Confidentialité des échanges, garantie par l’article 131-14 du Code de procédure civile
- Réduction significative des coûts par rapport à une procédure contentieuse
La pratique collaborative, plus récente en France mais en plein essor, constitue une évolution intéressante de la médiation. Dans ce processus, chaque partie est assistée de son avocat, spécifiquement formé aux techniques collaboratives. L’originalité réside dans l’engagement contractuel des avocats à se retirer du dossier en cas d’échec des négociations, ce qui incite fortement toutes les parties à privilégier une solution consensuelle.
La loi du 18 novembre 2016 a consacré cette pratique à l’article 1542 du Code de procédure civile, qui la définit comme « un processus conventionnel de résolution des différends par lequel les parties à un litige tentent de parvenir à une solution amiable avec l’aide de leurs avocats respectifs ».
Conventions de liquidation anticipée
Pour éviter les blocages ultérieurs, les époux peuvent anticiper la liquidation de leur régime matrimonial par la conclusion de conventions liquidatives. Ces accords, prévus par l’article 265-2 du Code civil, peuvent être conclus pendant l’instance en divorce et soumis à l’homologation du juge.
Ces conventions présentent plusieurs avantages :
- Fixation d’un cadre consensuel anticipant les points de désaccord potentiels
- Possibilité d’intégrer des clauses d’indexation ou d’actualisation pour les valeurs
- Faculté de prévoir des modalités de partage originales, adaptées à la situation spécifique des parties
La jurisprudence reconnaît largement la validité de ces conventions, sous réserve qu’elles respectent l’ordre public. Dans un arrêt du 19 décembre 2018 (n°18-10.244), la première chambre civile a précisé que « la convention de liquidation anticipée du régime matrimonial constitue une transaction soumise aux conditions de validité prévues par l’article 2044 du Code civil ».
Recours à l’arbitrage
L’arbitrage, longtemps exclu en matière familiale, connaît un regain d’intérêt depuis la réforme opérée par le décret n°2011-48 du 13 janvier 2011. Si le principe d’indisponibilité de l’état des personnes interdit toujours de soumettre à l’arbitrage les questions relatives au divorce lui-même, les aspects purement patrimoniaux de la liquidation peuvent désormais relever de ce mode alternatif de règlement des différends.
Les atouts de l’arbitrage sont considérables :
- Choix des arbitres en fonction de leur expertise spécifique (notaires, avocats spécialisés)
- Confidentialité absolue de la procédure, particulièrement appréciable pour les patrimoines importants
- Rapidité de la procédure comparée aux délais judiciaires
- Force exécutoire de la sentence arbitrale après exequatur
La Cour de cassation a confirmé, dans un arrêt du 4 novembre 2020 (n°19-15.438), que « les litiges d’ordre patrimonial nés à l’occasion d’une procédure de divorce peuvent faire l’objet d’un arbitrage, dès lors qu’ils ne concernent pas des droits dont les parties n’ont pas la libre disposition ».
Techniques notariales innovantes
Le notaire, acteur central de la liquidation des régimes matrimoniaux, dispose d’outils juridiques permettant de surmonter certaines oppositions :
La technique du partage avec soulte différée permet à l’époux qui souhaite conserver un bien commun (typiquement le logement familial) de ne pas avoir à verser immédiatement la soulte correspondante à l’autre partie. Cette solution, particulièrement adaptée aux situations de trésorerie tendue, peut être assortie de garanties (hypothèque, nantissement) pour sécuriser le créancier de la soulte.
Le partage en nature avec attribution préférentielle, prévu par l’article 831 du Code civil, offre la possibilité à l’un des copartageants de se voir attribuer certains biens en priorité. Cette faculté, particulièrement utile pour les biens affectifs ou professionnels, peut faciliter considérablement les négociations.
La constitution de sociétés civiles immobilières (SCI) de gestion peut parfois représenter une alternative intéressante au partage immédiat. Les ex-époux deviennent alors associés de la SCI, ce qui leur permet de reporter le partage effectif tout en organisant contractuellement la gestion des biens concernés.
Défis contemporains et évolutions jurisprudentielles
La liquidation des régimes de communauté partielle fait face à des défis renouvelés dans notre société contemporaine. Les évolutions sociales, économiques et technologiques transforment profondément la nature des patrimoines conjugaux et complexifient les opérations de liquidation, générant de nouveaux motifs d’opposition. La jurisprudence, dans son rôle d’adaptation du droit aux réalités sociales, apporte progressivement des réponses à ces questions inédites.
Enjeux liés aux actifs numériques et immatériels
L’émergence des actifs numériques constitue un défi majeur pour la liquidation des communautés. Ces biens d’un genre nouveau soulèvent des questions spécifiques tant sur leur qualification que sur leur évaluation.
Les cryptomonnaies (Bitcoin, Ethereum, etc.) représentent un cas emblématique. Leur volatilité extrême complique considérablement leur évaluation, tandis que leur traçabilité relative peut favoriser les dissimulations d’actifs. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 14 janvier 2021, a considéré que « les cryptomonnaies acquises pendant le mariage constituent des acquêts de communauté, soumis au partage par moitié, leur valeur devant être appréciée au jour du partage effectif ».
La question des données personnelles et de leur valorisation économique émerge progressivement dans le contentieux familial. Un fichier clients constitué pendant le mariage par un époux entrepreneur peut-il être qualifié de bien commun ? La valeur des comptes sur les réseaux sociaux doit-elle être intégrée dans l’actif à partager ? Ces interrogations nouvelles n’ont pas encore reçu de réponses jurisprudentielles définitives.
Les droits de propriété intellectuelle suscitent des débats complexes, notamment sur la distinction entre le droit moral (toujours propre à l’auteur) et les droits patrimoniaux (potentiellement communs). Dans un arrêt fondateur du 4 juin 2019 (n°18-13.844), la première chambre civile a précisé que « si le droit moral de l’auteur lui reste propre, les redevances perçues pendant la communauté au titre de l’exploitation des œuvres créées avant ou pendant le mariage constituent des fruits et revenus communs ».
Problématiques des régimes transfrontaliers
La mobilité internationale croissante des couples génère des situations juridiques complexes lorsque des éléments d’extranéité s’invitent dans la liquidation d’une communauté.
Le Règlement européen n°2016/1103 du 24 juin 2016, applicable depuis le 29 janvier 2019, a introduit des règles harmonisées concernant la compétence, la loi applicable et la reconnaissance des décisions en matière de régimes matrimoniaux. Ce texte a considérablement clarifié le cadre juridique applicable aux couples internationaux, en posant notamment le principe de l’unité de la loi applicable à l’ensemble du régime matrimonial.
Malgré cette avancée, des difficultés subsistent, particulièrement pour les biens situés dans des États non membres de l’Union européenne. La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser, dans un arrêt du 30 janvier 2019 (n°18-10.002), que « lorsque des époux mariés sans contrat ont fixé leur premier domicile conjugal en France, la liquidation de leur régime matrimonial est soumise à la loi française, y compris pour les immeubles situés à l’étranger, sauf si une convention internationale ou la loi étrangère du lieu de situation de l’immeuble en dispose autrement ».
La question des biens situés à l’étranger soulève des problématiques pratiques considérables, notamment en termes d’évaluation et de partage effectif. Les différences d’approche entre systèmes juridiques (notamment entre pays de common law et de tradition civiliste) peuvent générer des situations de blocage nécessitant des montages juridiques sophistiqués.
Impact des structures sociétaires sur la liquidation
L’utilisation croissante de structures sociétaires par les époux complique considérablement les opérations de liquidation et multiplie les sources potentielles d’opposition.
La question de la qualification des parts sociales ou actions détenues par les époux constitue un premier écueil. L’article 1404 du Code civil prévoit que les parts et actions acquises par un époux pendant le mariage sont communes, sauf si elles l’ont été par emploi de fonds propres régulièrement prouvé.
La valorisation de ces titres suscite régulièrement des contestations, particulièrement lorsqu’il s’agit de sociétés non cotées. Dans un arrêt remarqué du 24 octobre 2018 (n°17-25.963), la première chambre civile a jugé que « l’évaluation des parts sociales doit tenir compte des éléments incorporels du fonds, de la clientèle et des perspectives de développement de l’entreprise ».
Les pactes d’associés, contenant souvent des clauses d’inaliénabilité ou de préemption, peuvent interférer avec les opérations de partage. La jurisprudence tend à considérer que ces pactes sont opposables au conjoint non signataire, ce qui peut significativement compliquer la liquidation.
Enfin, les montages sociétaires complexes (holdings, sociétés en cascade) peuvent être utilisés à des fins de dissimulation d’actifs ou d’organisation d’insolvabilité. La théorie de la fraude permet aux tribunaux de « percer le voile social » lorsque ces structures ont manifestement été utilisées pour faire échec aux droits du conjoint. Un arrêt de la première chambre civile du 4 juillet 2018 (n°17-16.515) a ainsi admis que « le juge peut, en cas de fraude, intégrer dans l’actif communautaire des biens formellement détenus par une société, dès lors qu’il est établi que cette structure n’a été créée que pour soustraire ces biens au partage ».
Évolutions jurisprudentielles récentes
La jurisprudence récente de la Cour de cassation témoigne d’une adaptation constante aux nouvelles problématiques de liquidation des communautés partielles.
Concernant les biens professionnels, un arrêt important du 3 octobre 2019 (n°18-20.430) a précisé que « la clientèle civile créée par un époux pendant le mariage constitue un acquêt de communauté, sauf si elle présente un caractère personnel marqué rendant impossible son évaluation et son partage ». Cette décision nuancée reconnaît la spécificité des clientèles libérales tout en préservant les droits du conjoint.
En matière de prestation compensatoire, la Haute juridiction a clarifié l’articulation entre cette prestation et les opérations de liquidation. Dans un arrêt du 11 mars 2020 (n°19-13.935), elle a jugé que « le juge doit tenir compte des droits existants et prévisibles des époux dans la liquidation du régime matrimonial pour fixer la prestation compensatoire, sans toutefois anticiper sur la liquidation elle-même ».
S’agissant des donations déguisées ou indirectes, souvent sources d’oppositions virulentes, un arrêt du 17 juin 2020 (n°19-15.583) a rappelé que « la preuve d’une donation entre époux peut être rapportée par tous moyens, y compris par présomptions, dès lors que celles-ci sont graves, précises et concordantes ».
Enfin, concernant les dettes de la communauté, la première chambre civile a précisé, dans un arrêt du 9 septembre 2020 (n°19-11.882), que « le passif définitif de la communauté comprend les dettes dont elle était tenue au jour de sa dissolution, ainsi que celles qui ont pris naissance pendant l’indivision post-communautaire, dès lors qu’elles sont liées à la gestion des biens indivis ».