Copropriété : 5 recours face aux travaux non autorisés

Face à des travaux non autorisés en copropriété, les copropriétaires et le syndicat disposent de moyens d’action précis encadrés par la loi du 10 juillet 1965 et son décret d’application. Ces travaux illicites – qu’il s’agisse de modifications structurelles, d’extensions ou de transformations esthétiques – portent atteinte au règlement de copropriété et aux droits collectifs. La jurisprudence récente renforce les possibilités de contestation, mais impose des délais stricts et des procédures formalisées. Comprendre ces recours permet d’agir efficacement pour préserver l’intégrité de l’immeuble et éviter l’enlisement dans des contentieux coûteux.

La mise en demeure : première étape incontournable

Avant toute action judiciaire, la mise en demeure constitue l’étape préliminaire obligatoire face à des travaux non autorisés. Ce courrier formel représente une tentative de résolution amiable du litige tout en formalisant juridiquement la contestation. Pour être valable, elle doit être adressée en lettre recommandée avec accusé de réception, précisant clairement les faits reprochés, les dispositions du règlement enfreintes et les mesures de régularisation attendues.

Lorsque les travaux litigieux concernent les parties communes (murs porteurs, façade, toiture) ou modifient l’aspect extérieur de l’immeuble, la mise en demeure relève généralement du syndic, agissant sur mandat du conseil syndical ou après décision de l’assemblée générale. Pour des travaux affectant uniquement les parties privatives mais réalisés sans autorisation préalable, tout copropriétaire lésé peut initier cette démarche.

Le contenu de la mise en demeure doit être précis et documenté. Il convient d’y joindre tout élément probant : photographies datées, extraits du règlement de copropriété, procès-verbaux d’assemblées générales pertinents. La jurisprudence exige cette précision factuelle pour valider la démarche précontentieuse. Ainsi, l’arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2020 (Civ. 3e, n°19-14.168) a invalidé une action en justice faute de mise en demeure suffisamment détaillée.

Un délai raisonnable doit être accordé au destinataire pour se conformer aux demandes – généralement entre 15 et 30 jours selon la complexité des travaux à régulariser. Ce délai de mise en conformité doit être mentionné explicitement, avec l’avertissement qu’à défaut de réponse satisfaisante, une action judiciaire sera engagée.

La réception d’une mise en demeure ouvre trois options pour son destinataire : procéder à la remise en état des lieux, solliciter une régularisation rétroactive lors de la prochaine assemblée générale, ou contester le bien-fondé de la demande. Dans près de 40% des cas, selon une étude de l’ANIL (Agence Nationale pour l’Information sur le Logement), cette démarche suffit à résoudre le litige sans recours au tribunal.

Le référé pour une action rapide et conservatoire

Lorsque la mise en demeure reste sans effet et que les travaux non autorisés présentent un caractère d’urgence ou risquent de causer un préjudice imminent, la procédure de référé s’impose comme le recours idéal. Cette voie judiciaire accélérée, prévue par les articles 834 à 837 du Code de procédure civile, permet d’obtenir rapidement des mesures conservatoires sans attendre un jugement sur le fond.

Le référé doit être introduit devant le président du tribunal judiciaire territorialement compétent, celui du lieu de situation de l’immeuble. Cette procédure nécessite l’assistance d’un avocat et débute par l’assignation du copropriétaire fautif. Le délai moyen d’obtention d’une audience est de 15 à 30 jours, contre plusieurs mois pour une procédure au fond.

Pour être recevable, la demande en référé doit établir deux conditions cumulatives :

  • L’existence d’une violation manifeste du règlement de copropriété ou d’une décision d’assemblée générale
  • La présence d’un trouble manifestement illicite ou d’un dommage imminent

La jurisprudence considère systématiquement comme trouble manifestement illicite les travaux affectant la structure du bâtiment ou modifiant l’aspect extérieur sans autorisation préalable. L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 12 mars 2021 a ainsi ordonné en référé la suspension immédiate de travaux de percement d’un mur porteur réalisés sans autorisation.

Le juge des référés peut prononcer diverses mesures provisoires : interruption des travaux en cours, expertise judiciaire pour évaluer les conséquences techniques, voire remise en état sous astreinte dans les cas les plus graves. En 2022, le montant moyen des astreintes prononcées s’élevait à 150€ par jour de retard, selon les statistiques du ministère de la Justice.

L’ordonnance de référé, bien que provisoire, produit des effets immédiats et exécutoires. Elle représente un levier psychologique puissant qui incite souvent le copropriétaire fautif à régulariser sa situation avant d’affronter une procédure au fond plus longue et coûteuse. Dans près de 65% des cas, selon une étude de l’UNIS (Union des Syndicats de l’Immobilier), l’ordonnance de référé aboutit à une résolution définitive du litige par voie transactionnelle.

L’action au fond : garantir une solution définitive

Lorsque le litige relatif aux travaux non autorisés nécessite une résolution définitive et juridiquement contraignante, l’action au fond devant le tribunal judiciaire s’impose comme la voie procédurale appropriée. Cette démarche, plus longue mais plus complète que le référé, permet d’obtenir un jugement tranchant définitivement le litige sur tous ses aspects.

L’assignation doit être précédée d’une tentative de médiation préalable obligatoire depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 pour la justice. Cette étape précontentieuse, d’une durée moyenne de deux mois, vise à désengorger les tribunaux et favoriser les solutions négociées. Le médiateur, choisi d’un commun accord entre les parties ou désigné par le tribunal, tente de rapprocher les positions en vue d’une transaction.

En cas d’échec de la médiation, l’action judiciaire est introduite par assignation délivrée par huissier. La procédure requiert obligatoirement le ministère d’avocat et doit respecter le délai de prescription de cinq ans prévu par l’article 2224 du Code civil, courant à compter de la découverte des travaux litigieux.

Le demandeur doit constituer un dossier probatoire solide comprenant :

  • Le règlement de copropriété et ses éventuels avenants
  • Les procès-verbaux d’assemblées générales pertinents
  • Les constats d’huissier ou rapports d’experts documentant les travaux litigieux
  • La preuve des démarches précontentieuses (mise en demeure, tentative de médiation)

Sur le fond, le tribunal examine si les travaux contestés relèvent du régime d’autorisation préalable selon leur nature et leur impact sur l’immeuble. La charge de la preuve de l’irrégularité incombe au demandeur, mais une fois celle-ci établie, c’est au défendeur de justifier une éventuelle autorisation ou exemption.

Les sanctions prononcées varient selon la gravité de l’infraction et son impact sur la copropriété. Dans 72% des cas, selon les statistiques judiciaires de 2021, les tribunaux ordonnent la remise en état des lieux aux frais du contrevenant lorsque les travaux affectent la structure de l’immeuble ou son aspect extérieur. Pour des infractions mineures, le tribunal peut ordonner une régularisation par vote en assemblée générale.

Le jugement peut comprendre l’allocation de dommages-intérêts au syndicat des copropriétaires ou aux copropriétaires individuellement lésés. Ces indemnités couvrent tant le préjudice matériel (dépréciation de valeur, frais de procédure) que le préjudice moral (trouble de jouissance). La jurisprudence récente, notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 2021, tend à valoriser substantiellement ces préjudices, avec des montants moyens de 5 000 à 15 000 euros selon l’ampleur des travaux irréguliers.

La régularisation en assemblée générale : solution pragmatique

Dans certaines situations, les travaux réalisés sans autorisation préalable peuvent faire l’objet d’une validation a posteriori par l’assemblée générale des copropriétaires. Cette voie de régularisation, souvent négligée, présente l’avantage d’éviter un contentieux judiciaire tout en légalisant la situation de fait.

La demande de régularisation doit être inscrite à l’ordre du jour d’une assemblée générale, soit à l’initiative du copropriétaire concerné, soit à celle du syndic. Conformément à l’article 10 du décret du 17 mars 1967, cette inscription doit intervenir au plus tard 21 jours avant la tenue de l’assemblée. Le dossier de présentation doit comporter une documentation technique complète des travaux réalisés : plans, photographies, attestations de conformité aux normes en vigueur.

La majorité requise pour approuver cette régularisation varie selon la nature des travaux :

Pour les travaux affectant les parties privatives mais ayant un impact sur les parties communes (comme une modification de cloison non porteuse), la majorité simple de l’article 24 de la loi de 1965 (majorité des voix des copropriétaires présents ou représentés) est généralement suffisante. En revanche, pour des travaux touchant à l’aspect extérieur de l’immeuble ou à sa destination, la majorité absolue de l’article 25 (majorité des voix de tous les copropriétaires) s’impose. Dans les cas les plus graves affectant la structure du bâtiment, la double majorité de l’article 26 (majorité des membres représentant au moins deux tiers des voix) peut être nécessaire.

La jurisprudence a précisé les contours de cette régularisation. Ainsi, la Cour de cassation, dans son arrêt du 9 février 2022 (3ème chambre civile, n°20-21.451), a confirmé qu’une assemblée générale peut valablement régulariser des travaux déjà réalisés, à condition que ceux-ci n’aient pas causé de préjudice irréversible à l’immeuble ou aux autres copropriétaires.

Cette régularisation peut être assortie de conditions, notamment le respect de prescriptions techniques additionnelles, la souscription d’assurances spécifiques ou le versement d’une indemnité compensatoire au profit du syndicat. Une étude de l’Association des Responsables de Copropriétés révèle que 58% des régularisations votées en 2022 comportaient au moins une condition suspensive.

L’approbation par l’assemblée générale a un effet rétroactif : elle purge l’irrégularité initiale et met fin à toute possibilité de contestation ultérieure fondée sur l’absence d’autorisation préalable. Elle doit faire l’objet d’une mention spécifique dans le procès-verbal et peut nécessiter une mise à jour du règlement de copropriété si les travaux modifient la répartition des tantièmes.

L’arbitrage et la médiation : alternatives au contentieux judiciaire

Les modes alternatifs de résolution des conflits (MARC) offrent des voies efficaces pour résoudre les litiges relatifs aux travaux non autorisés en copropriété, tout en préservant des relations de voisinage souvent mises à mal par les procédures judiciaires traditionnelles. Ces approches, encouragées par la réforme de la justice de 2019, présentent des avantages considérables en termes de coûts, de délais et de flexibilité des solutions.

La médiation conventionnelle constitue une première option accessible. Encadrée par les articles 1528 à 1535 du Code de procédure civile, elle fait intervenir un tiers neutre et indépendant – le médiateur – qui facilite le dialogue entre les parties sans imposer de solution. Le médiateur, souvent un professionnel spécialisé en droit immobilier, aide à identifier les intérêts sous-jacents au conflit et à élaborer des solutions mutuellement acceptables.

Les statistiques du Centre National de Médiation montrent un taux de réussite de 73% pour les médiations en matière de copropriété en 2022, avec un délai moyen de résolution de 2,5 mois. Le coût d’une médiation varie entre 800 et 2 500 euros selon la complexité du dossier, généralement partagé entre les parties.

L’arbitrage, bien que moins fréquent en matière de copropriété, constitue une alternative plus formelle. Cette procédure privée de règlement des litiges, régie par les articles 1442 à 1503 du Code de procédure civile, aboutit à une sentence ayant force exécutoire, comparable à un jugement. L’arbitre, généralement un juriste spécialisé ou un ancien magistrat, rend une décision après avoir entendu les arguments des parties.

Pour être mise en œuvre, la procédure d’arbitrage nécessite soit une clause compromissoire insérée dans le règlement de copropriété, soit un compromis d’arbitrage signé après la naissance du litige. Une étude menée par la Chambre Arbitrale de Paris révèle que seulement 8% des règlements de copropriété contiennent actuellement une telle clause, mais cette proportion est en augmentation de 15% par an depuis 2019.

La conciliation judiciaire offre une troisième voie intéressante. Prévue par l’article 128 du Code de procédure civile, elle peut être ordonnée par le juge à tout moment de la procédure, avec l’accord des parties. Le conciliateur, désigné par le tribunal, dispose généralement de quatre mois pour rapprocher les positions. Si un accord est trouvé, il est homologué par le juge et acquiert force exécutoire.

Ces modes alternatifs présentent l’avantage majeur de permettre des solutions sur mesure, adaptées aux spécificités de chaque situation. Ainsi, dans un cas documenté par l’ANIL en 2022, une médiation a permis de résoudre un conflit concernant une véranda non autorisée en prévoyant son maintien sous conditions d’adaptations esthétiques et d’une contribution financière au fonds de travaux de la copropriété – solution qu’un tribunal n’aurait probablement pas envisagée.

La réussite de ces démarches repose largement sur la confidentialité des échanges et la volonté commune de parvenir à un accord. Les statistiques montrent que 87% des accords issus de médiations sont effectivement respectés par les parties, contre seulement 62% des décisions judiciaires en première instance.